Catégorie : Décoder un monde qui évolue

  • Les jeunes consomment-ils différemment que leurs aînés ?

    Les jeunes consomment-ils différemment que leurs aînés ?

    Dis-moi quel âge tu as, je te dirai comment tu consommes

    On les imagine smartphones de seconde main en poche, sapes solidaires sur le dos, sneakers à impact positif aux pieds, encas vegan dans le ventre : à en croire les imaginaires, les jeunes formeraient un groupe homogène de consommateurs éveillés et responsables. C’est du moins ce que l’on pourrait déduire de la médiatisation de cette “génération Greta Thunberg”, marcheuse pour le climat, politiquement verte, adepte de Vinted et Biocoop, vent debout contre l’ancien monde des entreprises et celui des “boomers”.

    De fait, la prise de conscience existe bien chez certains : Romain, 24 ans, responsable de communication interne dans un fond d’investissement parisien, explique ainsi que ses habitudes de consommation ont évolué ces dernières années : « J’ai réellement plus conscience de mon impact écologique. J’achète beaucoup moins de produits transformés pour l’alimentation. Je n’achète plus ou alors très peu de vêtements issues du fast fashion par rapport à avant ». Maxime Delavallée, se félicite lui de rassembler 50 000 visiteurs actifs chaque mois sur le site de sa boutique en ligne de vêtements vintage de seconde main CrushOn. « Dans les nombreux retours de nos clients, la satisfaction provient à la fois de l’acte militant d’acheter de la mode de seconde-main sourcée par des commerçants indépendants à taille humaine, et de l’unicité stylistique et au glamour de porter du vintage » témoigne-t-il.

    Lire aussi : Comment consommer la mode de façon responsable ?

    Pourtant, il suffit de se pencher plus sérieusement sur les chiffres pour constater que ce seul constat est loin d’être pleinement représentatif des comportements d’achat des représentants de la jeunesse. Fin 2019, le Crédoc concluait son étude « Consommation et modes de vie » pour l’ADEME en notant que « les jeunes ont de fortes inquiétudes mais leurs comportements restent consuméristes ». Bien que l’environnement soit en tête de leurs préoccupations, ils sont toujours plus enclins à prendre l’avion et à faire les soldes que le reste de la population, et moins prêts qu’eux à calmer leur cadence d’achats. Laurène, 21 ans, étudiante à l’Ecole de Sage-Femme de Dijon, concède par exemple qu’elle « achète beaucoup plus de choses dites non essentielles (vêtements, produits multimédias…) » que ses parents, « alors qu’eux, qui avaient souvent moins de moyens, se concentraient sur des choses indispensables (voiture, loyer…) ».

    Les jeunes sont-ils touchés par une forme d’hypocrisie ? Non : c’est plutôt que les termes du débat sont mal posés.

    À la recherche du consommateur parfait

    « Jeune ou pas, personne ou presque ne fréquente exclusivement McDonald’s, ou exclusivement des Salad Bars vegan et il nous arrive tous de nous retrouver dans la situation de récupérer un panier d’Amap sur le chemin d’Ikea ou une commande Amazon en même temps qu’un colis Vinted » rappelle l’essayiste Jean-Laurent Cassely, spécialiste des tendances urbaines et nouveaux modes de consommation. « Dans une étude que j’ai pu mener avec l’ObSoCo (ndlr : Les jeunes urbains créatifs, contre-culture ou futur de la consommation, ObSoCo, 2018), on s’est demandé si les jeunes diplômés qui incarnent souvent l’avant-garde dans les médias étaient plutôt alter-consommateurs ou hyper-consommateurs : en fait la plupart des gens sont tiraillés entre ces deux modèles, et rares sont ceux qui ont un profil “pur ». »

    « Ce qui est clair c’est que l’alter-consommateur modèle ne correspond pas forcément aux comportements des “vrais gens”, y compris parmi les fameux Millennials »

    Jean-Laurent Cassely, spécialiste des nouveaux modes de consommation

    Quand on pose la question aux principaux intéressés, il est effectivement difficile d’obtenir des réponses tranchées : à choisir s’ils sont plus portés sur la fête commerciale du Black Friday ou son boycott, le Green Friday, Romain répond « ni l’un ni l’autre », Laurène « entre les deux extrêmes » et Léa, 27 ans, consultante en communication dans une agence parisienne, « les deux ».

    Pour beaucoup, cette ambivalence traduit en fait la mise en place d’un mécanisme de balancier, qui consiste à contrebalancer sa consommation non-raisonnable par des achats vertueux. « C’est un jeu des compensations qui s’observe beaucoup dans le discours de l’alter-consommation, précise Jean-Laurent Cassely. Plus on prend l’avion, plus on va chez McDo, et plus il faudra acheter des produits verts ou en vrac pour compenser ». Un constat qui abonde dans le sens du raisonnement de Romain, qui avoue « compenser avec des actions quotidiennes comme le tri des déchets ou le recours à l’économie circulaire » son « addiction à tout ce que peut apporter l’uberisation (commandes de nourriture, VTC) ».

    Lire aussi : Économie circulaire et collaborative : quels sont les enjeux ?

    D’ailleurs, un même comportement d’achat peut dissimuler des aspirations bien distinctes. Le fait de moins consommer, par exemple, peut cacher à la fois un sens des responsabilités aigu comme un simple manque de moyens. « On observe notamment du côté de la jeunesse ce qu’on appelle des comportements de transition, analyse Jean-Laurent Cassely. Si les jeunes n’ont pas de voiture ou qu’ils ne sont pas propriétaires de leur logement, c’est parfois tout simplement parce qu’ils ne sont pas stabilisés dans vie d’adulte, et qu’ils n’en ont pas encore besoin ». Un constat confirmé par une étude menée par le chercheur Richard Grimal sur une cohorte de jeunes français, dans laquelle il atteste que « les opinions et les attitudes de la génération Y ne jouent aucun rôle » dans le fait que les jeunes utilisent moins la voiture que leurs aînés, et que l’explication est plutôt à chercher du côté de leur non-entrée dans la vie d’adulte et dans l’obtention des moyens financiers qui l’accompagne. « Pour résumer, on peut dire que les jeunes prennent dès qu’ils le peuvent le même pli que les fameux boomers que l’on accuse aujourd’hui de tous les maux sur la consommation » ironise Jean-Laurent Cassely.

    « Un jeune, c’est un être humain pas très différent des autres »

    Jean-Laurent Cassely

    De la conso au discours : où est le fake ?

    C’est donc surtout dans les discours que la confusion règne. D’abord parce que saisir “les jeunes” comme un groupe uniforme est vain. Dans son livre Millennial Burn-Out (Arkhé, 2019), Vincent Cocquebert confirme que « derrière cet énième mythe générationnel » se cache « une armée de marketeurs et autres consultants avides d’alimenter la machine à poncifs pour faire tourner un juteux business ».

    Et pose, in fine, la question : « Et si les millennials n’existaient pas ? ».

    Mais la confusion vient aussi et surtout du fait que les projecteurs n’ont tendance à ne se braquer que sur une seule facette des modes de consommation. « Dans les faits, c’est souvent la recherche du meilleur prix qui l’emporte, mais dans le discours, c’est l’écologie, l’éthique ou la consommation responsable qui prend le pas, observe Jean-Laurent Cassely. La raison à cela, c’est que les catégories culturelles monopolisent le discours sur la consommation, alors que celles et ceux cherchent simplement le meilleur objet au meilleur prix ne prennent pas la parole ; non pas parce que ce modèle est honteux mais il ne fait pas l’objet d’un discours et d’une philosophie ».

    Dans son livre co-écrit avec la sociologue et directrice de recherche au CNRS Monique Dagnaud, Génération surdiplômée, les 20 qui transforme la France (Odile Jacob, 2021), Jean-Laurent Cassely rappelle ainsi que seul un Français sur cinq a un master ou le diplôme d’une grande école en poche, mais que ce petit groupe des 20% se retrouve aux manettes des prescription de tendances. Les modes de consommation semblent donc moins une question d’âge qu’une question de catégorie socio-professionnelle.

    Et si hypocrisie il y a, elle ne vient pas des jeunes, mais de son élite culturelle. « Depuis que la société de consommation existe, les intellectuels français s’y opposent, confirme Jean-Laurent Cassely. Il y a un décalage immense entre le discours critique sur la consommation et la place qu’elle occupe dans la société : la France est le second marché de McDonald après les US, la grande distribution traditionnelle, le discount et Amazon s’y sont très bien implantés, mais la condamnation de la “société de consommation” continue d’être la position dominante dans les médias et parmi les intellectuels, ce qui a tendance à creuser l’écart avec les consommateurs lambda qui sont pourtant conscients pour beaucoup des limites du consumérisme, mais en tirent également des satisfactions réelles ».

  • Des « forêts urbaines » pour sauver les villes ?

    Des « forêts urbaines » pour sauver les villes ?

    Les milieux urbains, peu propices à la balade ? S’il est rare de ralentir le pas dans les métropoles, où le bruit se mélange à la pollution atmosphérique, c’est peut-être en partie par le manque de végétation.

    Pour l’organisation mondiale de la santé (OMS), il faudrait au moins 9 m² d’espaces verts par habitant, avec un idéal de 50 m² à moins de 300 mètres de chaque habitation (1). Paris arrive tout juste à ce seuil, avec 9 m² de végétation par habitant, et la ville de Grenoble atteint quant à elle les 17 m².

    « Malgré des périodes plus favorables à la nature urbaine que d’autres, les XIXe et XXe siècles ont été peu propices au développement d’une importante naturalité en ville car ils sont marqués par l’hygiénisme et le fonctionnalisme : les arbres devaient être bien taillés et agencés dans des espaces verts ou le long des grands boulevards au nom de la santé publique. Et jusqu’à la loi Labbé de 2017 qui interdit les produits chimiques dans l’espace public, et les premières actions municipales, la ville était, dans la réglementation, encore considérée comme un espace stérile pour la biodiversité », retrace Hugo Rochard, doctorant en géographie à l’Université Paris Cité.

    C’est donc à partir de ce constat qu’Enrico Fusto et Damien Saraceni ont fondé en 2016 l’association Boomforest. L’idée : recréer des écosystèmes forestiers en ville via la méthode du botaniste japonais Akira Miyawaki : « Nous voulions recréer des espaces autonomes et plus sauvages, souligne Damien, l’un des fondateurs. Car les plantations ornementales, les villes savent déjà bien le faire. » Après un voyage au Japon, Enrico se lance, avec l’aide de Damien et plusieurs groupes de citoyens, à la création de différentes mini-forêts en Ile-de-France. « En 2017, nous avons débuté notre premier projet de plantation Porte-de-Montreuil, sur un talus du boulevard périphérique dans le 20e arrondissement à Paris. Aujourd’hui, nous pouvons suivre cinq projets par saison entre 500 à 900 mètres de surface, dont un à Lyon porté par la municipalité », abonde Damien.

    Lire aussi : Maison individuelle et étalement urbain : faut-il densifier la ville ?

     

    La ville comme territoire d’expérimentation

    Au sein de l’équipe de Boomforest, des gens passionnés qui tentent collectivement d’agrader – améliorer la qualité d’un sol ou d’un milieu, par opposition à ce qui le dégrade – leur environnement, mais pas n’importe comment : « Les endroits que nous avons choisis à Porte-de-Montreuil et aux Lilas avaient des sols dégradés et pauvres en biodiversité», se rappelle Damien.

    Le botaniste Akira Miyawaki a montré qu’une restauration rapide du couvert forestier et du sol était possible, même sur des sols très dégradés, ce qui en fait une technique idéale pour les milieux urbains. Cette méthode, qui a permis de reboiser de nombreux sites – notamment en Inde et autour de la Méditerranée (2) – consiste à planter plusieurs espèces locales de manière très rapprochée en s’inspirant d’un écosystème forestier à son stade final.

    Avant de pouvoir planter, Damien et Enrico ont réalisé un minutieux travail de recherche pour retrouver les espèces d’arbres et d’arbustes naturellement présentes dans la région. « Nous nous sommes d’abord renseignés sur les essences d’arbres qui poussent dans les bois de la région, y compris ceux de Boulognes et de Vincennes, puis nous avons croisé ces informations à des sources historiques. » C’est donc des hêtres, des chênes, des érables, des ormes mais aussi des sureaux, des aubépines et des groseilliers, ainsi que plusieurs arbres fruitiers comme le pommier sauvage et le noisetier qui ont été plantés sur les différents sites parisiens. Ensuite, viennent l’attente, et un long travail de vigilance d’environ trois ans – pour s’assurer de la survie des jeunes plants. « Nous avons vraiment limité les passages pour qu’il y ait le moins de piétinements possibles », précise Damien. Les bénévoles interviennent donc seulement quelques fois dans l’année, pour l’arrosage et la coupe de certaines herbes.

    Une forêt dense aux multiples vertues

    Une fois arrivés à maturité, ces espaces ont de nombreuses vertus pour les riverains : diminution des températures, augmentation de la biodiversité, amélioration de la qualité de l’air et du bien-être. Pour se rendre compte de l’augmentation de la biodiversité, le géographe Hugo Rochard a réalisé des relevés de la flore avec l’écologue Marion Brun sur les sites de l’association. Sur un mètre carré de terrain, les deux scientifiques ont comparé la diversité des micro-forêts à celles des sites adjacents : « Un an après la plantation, on observe une densité de trois à quatre arbres par mètre carré. Une flore spontanée s’est également développée tout autour des arbres : elle vient enrichir la diversité des espèces présentes – qui est environ deux fois plus importante sur ces sites par rapport à ce que l’on trouve sur les talus à proximité, où le gazon est fauché au moins deux fois par an en moyenne », explique le chercheur.

    Malheureusement, pour l’association Boomforest, le manque de suivi scientifique des différents projets ne permet pas de dire si la qualité des sols s’en voit améliorée. Damien constate toutefois de façon empirique la présence d’insectes : « Lorsque nous avons planté près du périphérique au Lilas, il y avait des déchets plastiques dans le sol et aucun insecte. Un an plus tard, il a suffi de creuser un peu le sol pour y trouver des vers de terre et plein d’autres organismes vivants. »

    Lire aussi : Quiz : Quelles menaces sur la biodiversité et comment la protéger ?

    Pour Michaël Belluau, chercheur spécialisé dans les questions de plantations urbaines au laboratoire de recherche canadien PaqLab, les bénéfices d’une mini-forêt urbaine pourraient même aider à lutter contre l’érosion : « Le principal problème en ville, c’est le tassement du sol : le milieu urbain le rend sec et dur et cela complique l’infiltration de l’eau par le sol. En revanche, avec la présence des racines, le sol est aéré. Et même en bord d’autoroute, ces forêts les maintiennent. »

    En effet, les bois, les haies ou même de simples talus permettent déjà d’intercepter l’eau de surface. Ces micro-forêts ont aussi pour avantage de demander peu d’entretien : « L’objectif est de rendre ces espaces autonomes, c’est le cas pour le moment de notre projet à Porte-de-Montreuil quatre ans après la plantation », partage fièrement Damien Saraceni.

    Le défi n’était pourtant pas simple à relever, car aucune initiative similaire n’avait eu lieu en France jusqu’alors… ou presque : « Le mouvement de “renaturation” des villes n’est pas totalement nouveau, précise Hugo Rochard. Les premières politiques cohérentes en ce sens datent, en France, d’une quinzaine d’années, avec, dans le cas de l’afforestation, le projet de “forêt linéaire nord” et “sud” à Paris. Ici, ce qui est nouveau, c’est qu’il s’agit d’une initiative citoyenne qui vise à la création d’un écosystème et non plus la protection d’un seul arbre remarquable. C’est un projet collectif à tous les niveaux. »

    Ce désir de créer des écosystèmes – qui remplaceraient les arbres isolés dans du béton en ville – vient aussi des récentes découvertes scientifiques : « Depuis une dizaine d’années, nous avons pris conscience du niveau de communication des arbres dans les forêts : certaines espèces s’entraident. Les arbres sont plus résistants lorsqu’ils peuvent communiquer avec d’autres végétaux. Et les micro-forêts ont le même potentiel », conclut Michaël Belluau.

    (1) WIT Transactions on Ecology and The Environment

    (2) Ranjan, V., Sen, P., Kumar, D. et al. A review on dump slope stabilization by revegetation with reference to indigenous plant.

  • Tourisme durable, l’équation impossible ?

    Tourisme durable, l’équation impossible ?

    Clap de fin pour les paquebots de tourisme de plus de mille tonnes à Venise : depuis 2019, ils sont interdits d’accès au centre historique de la Sérénissime. En cause, les dégâts environnementaux générés par les quelques 600 bateaux de croisières accostant chaque année, avec leurs lots de touristes et d’émissions d’oxyde de soufre et d’azote.

    « Cette décision illustre un point de bascule intéressant. Venise est un cas extrême et très emblématique de saturation touristique. La ville a atteint un point de non-retour, qui l’oblige à considérer le tourisme comme une activité exigeant un contrôle, et non plus seulement comme une ressource potentielle », analyse Julien Rochette, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

    Signe des temps ? De l’Adriatique à la baie de Maya, en Thaïlande, fermée au public depuis 2018 pour permettre au système écologique de se régénérer (les allers et venues quasi incessants de bateaux de vacanciers menaçaient les récifs coralliens), des initiatives de régulation s’observent ici ou là. Le chantier est vaste : le tourisme, première industrie mondiale, connaît un essor alarmant.

    Lire aussi : Tourisme de masse : quelles solutions pour un voyage plus responsable ?

    En 2018, 1,4 milliard de touristes internationaux (c’est-à-dire passant au moins une nuit hors de leur pays) ont arpenté la planète (1). Ils étaient 25 millions en 1950. D’ailleurs, « la croissance du tourisme international reste supérieure à celle de l’économie mondiale », claironne l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) dans son dernier rapport. Mais si ce dynamisme a généré 1 700 milliards de dollars de recettes, son coût écologique est colossal.

    Avec la pandémie mondiale, le tourisme international a drastiquement chuté. En 2021, il a progressé de 4% par rapport à 2020, mais est resté 72% inférieur à 2019, l’année d’avant la pandémie.(2)  En 2022, la reprise est lente mais bel et bien en cours.

    Il faut dire qu’au-delà d’une empreinte carbone considérable (8% émissions mondiales de gaz à effet de serre) (3), l’industrie touristique accentue l’artificialisation massive des sols et notamment des littoraux, provoque une diminution drastique de la biodiversité dans de nombreuses régions du globe et participe de la pollution des océans… Ainsi, l’environnement marin et côtier de la Méditerranée, qui concentre près d’un tiers du tourisme mondial, avec 350 millions de visiteurs annuels, paie un lourd tribut.

    « Le développement rapide et la construction d’infrastructures (…) ont engendré de graves problèmes d’érosion et de pollution en de nombreux points du pourtour méditerranéen », observe Greenpeace. « Les projections tablent sur une fréquentation touristique annuelle de 600 millions, dès 2025 : en l’absence de régulation, on se dirige dans certains sites déjà très fréquentés vers une destruction de la biodiversité et un chaos le plus total », abonde Julien Rochette.

    Tourisme durable : ne plus être « touriste »

    En réaction à ce constat accablant, un tourisme plus responsable se développe depuis une vingtaine d’années, pour tenter de promouvoir d’autres manières de voyager. Tourisme vert, responsable, équitable…

    Derrière la pluralité sémantique, un objectif commun, défini par l’OMT : « tenir pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ».

    Vaste programme, qui trouve localement des applications concrètes, comme à la basse Kinabatangan à Bornéo, en Malaisie, que la géographe Clotilde Luquiau a étudié de près. Dans cette zone forestière, une dizaine d’opérateurs touristiques locaux se sont engagés en faveur de l’écotourisme en établissant une charte avec WWF Malaisie, se traduisant par la création d’un budget commun finançant la protection de l’environnement, et luttant entre autres contre le braconnage.

    D’autres actions sont également mises en place, comme le programme Home Stay, qui propose à des locaux d’accueillir des touristes chez eux, une formule moins impactante pour l’environnement que l’hôtellerie classique et permettant un bénéfice social local, ou encore comme la plantation d’arbres par les touristes : une proposition qui resterait anecdotique si elle n’était relayée par le financement d’équipes locales pour mener à grande échelle la reforestation. Cet écotourisme n’est pas forcément réservé aux plus aisés, défend Clotilde Luquiau : nuits chez l’habitant, jumelages associatifs, échanges de maison… de nombreuses possibilités plus respectueuses de l’environnement sont aussi moins onéreuses que des vacances « classiques ».

    Mais si la géographe se félicite de ces initiatives locales, elle reste réservée quant au développement d’un tourisme durable à l’échelle mondiale.

    « Aujourd’hui, c’est une illusion. Pour que cela advienne, il faudrait que l’environnement global, législatif, économique, s’engage, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. »

    Clotilde Luquiau

    Face à des pratiques prédominantes inchangées, qui continuent de croître, et à l’heure où une classe moyenne désireuse de voyager émerge en Asie, le tourisme durable reste une niche. Et il a aussi ses limites.

    « La présence humaine, même respectueuse, perturbe le milieu naturel. Et si le développement économique local permis par l’écotourisme a des aspects positifs, il contribue à augmenter les moyens d’une population qui va consommer davantage, et donc avoir un impact environnemental plus élevé… »précise la géographe Clotilde Luquiau.

    Surtout, par le seul fait de prendre l’avion, le vacancier alourdit considérablement son empreinte carbone : un unique aller-retour Paris-Chicago suffit à atteindre le quota individuel d’émission de Co2 annuel qui permettrait de limiter le réchauffement planétaire à 2° d’ici la fin du siècle, explique l’ingénieur et auteur Jean-Marc Jancovici (4).

    Taxer davantage les vols peut être une solution, mais elle soulève une question de justice sociale. Pour résoudre l’équation, des pistes sont avancées ici et là, telles que celle proposée par le Committee on Climate Change, Haut Conseil pour le Climat du Royaume-Uni : alors que 15% de la population britannique est responsable de 70% des vols, la mise en place d’une taxe proportionnelle à la distance parcourue dans les airs sur les dernières années permettrait de pénaliser les plus gros consommateurs, sans exclure du ciel les vacanciers occasionnels, statistiquement moins aisés.

    « L’ensemble des acteurs et opérateurs touristiques doivent introduire des notions de durabilité dans les services qu’ils proposent. S’il faut encourager le marché du tourisme durable à se développer, c’est surtout sur le tourisme dit de masse qu’il faut agir, car c’est là qu’est la plus grande incidence sur l’environnement, »

    appelle pour sa part Julien Rochette

    Nous en sommes encore loin : malgré les déclarations d’intention, la plupart des pays posent encore aujourd’hui la question touristique en termes financiers. « C’est la logique de chiffres qui domine », regrette l’expert.

    « Le modèle qui a prévalu depuis cinquante ans n’est plus acceptable d’un point de vue social et environnemental. Tout est à réinventer, »conclut-il. Y a plus qu’à.

    (1) OMT, rapport annuel, édition 2019

    (2) OMT, rapport annuel, édition 2022

    (3) Lenzen, M., Sun, Y., Faturay, F. et al. The carbon footprint of global tourism. Nature Clim Change

    (4) Extrait de cours de Jean-Marc Jancovici à l’École des Mines de Paris, Mai 2019

  • 5 idées reçues sur le changement climatique !

    5 idées reçues sur le changement climatique !

    Les études scientifiques sont claires : le réchauffement climatique ne cesse de s’aggraver au fil des années. Il est important de comprendre les enjeux climatiques pour agir en conséquence. Voici des réponses à 5 idées reçues sur le changement climatique.


    1

    Les actions individuelles n’ont pas d’impact face aux bouleversements écologiques !

    FAUX. Pour lutter contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, l’action de chaque individu est importante. Selon une étude du cabinet de conseil Carbone 4, « si un Français actionne l’ensemble des leviers à l’échelle individuelle en adoptant un comportement responsable, il réduirait son empreinte carbone de 25 % ». Une part non négligeable. Voici quelques éco-gestes à faire à la maison, pour une mise en application immédiate !


    2

    La Terre est recouverte à 72 %* d’eau, on ne pourra jamais en manquer !

    FAUX. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)(1), le réchauffement climatique a des répercussions sur l’humidité, la sécheresse, les zones côtières et les océans. Il provoque des sécheresses plus dures dans les régions déjà sèches. Ainsi, selon l’Accord de Paris de 2015, si le réchauffement dépasse les +1,5 °C d’ici 2050, la pénurie d’eau sera plus importante à l’avenir. Or, déjà 25 %(2) de la population mondiale y est soumise. Il est donc important d’apprendre à économiser l’eau, en faveur de la planète.


    3

    Le réchauffement climatique diminue les ressources en eau et donc les risques d’inondations !

    FAUX. Selon le GIEC, le changement climatique intensifie le cycle de l’eau apportant des pluies plus intenses, avec les inondations qui les accompagnent. D’autant que, toujours selon les experts du climat du GIEC, le réchauffement climatique modifie la répartition des pluies. Il est probable que les précipitations augmenteront en hautes latitudes, alors qu’une baisse est projetée dans une grande partie des régions subtropicales. Les zones côtières seront, elles, confrontées à l’élévation du niveau de la mer, qui contribuera à accroître la fréquence et la gravité des inondations dans les zones de faible altitude et à accentuer l’érosion du littoral.


    4

    Pour absorber le CO2, il suffit de planter des arbres partout !

    FAUX. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)(3), « un arbre peut absorber jusqu’à 150 kg de CO2 par an, séquestrer du carbone et par conséquent, atténuer le changement climatique ». Mais si les arbres sont de formidables absorbeurs de carbone, ils ne pourront jamais capter tout le CO2 présent dans l’atmosphère à eux seuls. D’autant qu’un arbre planté aujourd’hui ne pourra absorber efficacement du CO2 qu’après 23 ans(4).

    Chiffre-clé

    L’enjeu d’ici 2050 est de limiter à 2 °C(6), en moyenne planétaire, le réchauffement climatique.


    5

    Une augmentation de 2 degrés, ce n’est pas grand-chose !

    FAUX. Selon le GIEC, si l’on ne parvient pas à limiter l’augmentation des températures à 1,5 °C d’ici 2050, 8  %(5) de l’habitat des animaux vertébrés (mammifères, oiseaux, reptiles…), 16 % de celui des plantes et 18 % de celui des insectes auront disparu. Pourtant, chaque espèce vivante est essentielle à l’équilibre des écosystèmes et au maintien de la vie sur Terre. Par exemple, sans les insectes pollinisateurs, l’Homme devra renoncer à de nombreux fruits et légumes. Une augmentation de 2°C entraînera également une hausse du niveau de la mer d’ici 2 100(5), exposant ainsi 10 millions(5) de personnes de plus au risque de submersion côtière.

    Enjeux climatiques, il y a urgence à agir !

    Causes, impacts et leviers d’actions, la Macif vous aide à y voir plus clair sur les enjeux climatiques.

    L’Essentiel de l’article

    • Réduire les émissions de CO2 est primordial pour protéger la planète.
    • La ressource en eau sera plus critique à l’avenir.
    • Chacun à son échelle peut adopter des gestes pour le bien-être de la planète.

    * Le centre d’information sur l’eau, De l’Univers au monde de l’eau

    (1) GIEC, https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/

    (2) World Resources Institute

    (3) Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, On International Day, UNECE/FAO Forestry and Timber Section releases 10 facts to fall in love with forests, 2019

    (4) science-presse, La captation du CO2 par les arbres: 4 choses à savoir, 2021

    (5) GIEC, Global Warming of 1.5 ºC, 2018

    (6) gouvernement.fr, La Conférence de Paris sur le climat, 2021

  • Timothée Chalamet, Angèle, Fary… Quelles sont les références culturelles de la génération Z* ?

    Timothée Chalamet, Angèle, Fary… Quelles sont les références culturelles de la génération Z* ?

    À chaque génération ses références culturelles. Les baby-boomers ont été marqués par Sean Connery et les Beatles, la génération X par David Bowie et The Breakfast Club (1985), les millennials par Harry Potter et Eminem. La génération Z, elle, semble puiser dans un répertoire plus large que jamais. Certes elle a ses icônes « à elle », de Billie Eilish et BTS à Mcfly et Carlito. Mais elle ne se montre pas non plus avare de références plus datées. « Dans ma génération, décrit Lou, 18 ans, tout le monde a vu Friends (1994-2004) alors que ce n’est pas notre génération, on adore les réalisateurs des années 90 comme Tarantino… » « Sur TikTok, beaucoup de tendances des années 70 sont revenues à la mode, que ce soit les pattes d’eph’ ou en musique [la chanson Dreams de Fleetwood Mac, sortie en 1977, a notamment fait le buzz sur le réseau social en 2020, ndlr], mais aussi des années 80 », abonde Rosalie, 18 ans. 

    Un phénomène assez inédit par son ampleur que Vincent Cocquebert, auteur de Millennial burn-out (Arkhê, 2019), qualifie de « rétromania culturelle », face à « futur qui ne fait plus rêver » et dans lequel il est « très difficile de se projeter. » La génération Z sera-t-elle celle qui réécrira les codes de la consommation culturelle ? Focus sur quelques références de cette tranche d’âge née entre 1995 et 2010, du cinéma à l’humour en passant par la musique. 

    *soit la catégorie générationnelle regroupant les jeunes nés entre 1995 et 2010

    De John Travolta à Timothée Chalamet, la révolution de la masculinité

    Fin des années 70, la vague disco a envahi la planète. Deux films cultes de cette période vont rester gravés dans les esprits, La Fièvre du samedi soir (1977) puis Grease l’année suivante, et avec lui son acteur américain phare : John Travolta. Une référence absolue pour nombre de parents d’enfants de la génération Z, quant à elle plutôt fan d’Emma Watson, de Jennifer Lawrence ou encore de Timothée Chalamet, énumère Lou, en prépa littéraire à Issy-les-Moulineaux. La jeune femme se dit admirative de sa « sensibilité assumée » du comédien de 26 ans révélé notamment dans Call me by your name (2017), qui va de pair avec son « côté féminin, qui destructure les codes de la masculinité » et son physique « gringalet » – « cheveux qui pendent » et « épaules avachies »… 

    Sa mère, Catherine, 58 ans, mesure le décalage avec la star de Grease. Un sex-symbol au « corps un peu bodybuildé, assez macho », bien que son allure efféminée, voire androgyne, ait également pu être pointée du doigt. Évoquant la « légèreté et l’insouciance » de cette période qui contraste avec le climat actuel, elle poursuit : « Je pense que la jeune génération est une génération qui casse tous les codes et remet en cause nos représentations. La nôtre se posait moins de questions. À l’époque de Travolta, c’est la beauté du corps que l’on met en valeur – pas forcément le fond. » 

    Des seventies à nos jours, retrace Vincent Cocquebert, c’est toute une ère qui s’achève : celle du « bad boy ». Celui qui, comme Travolta « n’était pas trop aimé des parents des jeunes de l’époque parce qu’il était très sexualisé, très charmant ; c’était le tombeur du lycée qui allait détourner les jeunes filles ». Tout l’inverse de la « masculinité rassurante » d’un Timothée Chalamet qui renvoie l’image d’une garçon « gentil et poli ». Plus largement, le côté « rock’n’roll » et les frasques des stars qui faisaient les choux gras de la presse people plaisent beaucoup moins aux jeunes d’aujourd’hui, ajoute cet observateur des nouvelles générations. « Il y a une sorte d’apaisement dans les formes culturelles, qui fait que l’on n’a plus besoin d’aimer quelque chose que nos parents détestent pour s’affirmer ! »

    Lire aussi : Quand les étudiants se font porte-parole de la jeunesse, cela fait avancer les droits sociaux

    De Francis Cabrel à Stromae et Angèle, une autre idée de la musique (et de l’amour)

    « Oui, j’ai parfois eu des pensées suicidaires / Et j’en suis peu fier… » Sa performance très commentée sur le plateau de TF1, en janvier 2022, a remis l’enjeu de la santé mentale sur le devant de la scène. Stromae fait partie de cette nouvelle vague d’artistes qui n’hésite pas à « parler de problèmes psychologiques, de leurs traumas et de leurs questionnements ; c’est une parole beaucoup plus mainstream et globale », note Vincent Cocquebert. Résultat, « on connaît bien plus leurs vies », qu’ils livrent dans leurs textes, que les artistes d’antan, pour leur part davantage portés sur les métaphores…

    Pour Rosalie, 18 ans, cette parole intime et directe rend l’artiste belge particulièrement « émouvant ». Les thèmes abordés, à l’instar de la critique lancinante qu’il fait des réseaux sociaux dans Carmen — « L’amour est comme l’oiseau de Twitter / On est bleu de lui, seulement pour 48h… » —, en font une référence incontournable pour sa génération, juge cette élève de terminale dans l’Essonne. Une vision de l’amour désabusée qui tranche avec celle qui prévalait durant l’âge d’or de la chanson française, à l’image d’un Francis Cabrel qu’admire son père Arnaud, 57 ans. Rosalie associe en effet le chanteur sexagénaire, interprète de Je l’aime à mourir, à une certaine « douceur » qui serait devenue assez rare dans les chansons d’amour signées par des artistes contemporains. « Dans les chansons de Stromae, l’amour est souvent un peu défaitiste, remarque-t-elle. Ça parle de rupture, de couples qui ne s’entendent pas… »

    Assurément on ne chante plus l’amour de la même façon qu’hier. Couronnée artiste préférée des 18-24 ans par le classement RIFFX du Crédit mutuel en 2020, Angèle évoque la tentation du célibat dans Solo, son attirance pour une femme dans Ma Reine… Quant à Stromae, il n’hésite pas à brouiller les frontières du genre dans le clip de Tous les mêmes en apparaissant mi-homme, mi-femme, dans une chorégraphie millimétrée. Justement, ce qui frappe Arnaud avec les jeunes artistes actuels, c’est la sophistication des clips dans lesquels ils se mettent en scène.  « C’est assez évident de cette génération qui est née avec le téléphone comme une extension de la main. Avant, c’était moins important. Je me souviens d’un clip de Cabrel où il jouait simplement de la guitare sur un fond bleu et ça suffisait. » Une autre idée de la musique.

    Lire aussi : Une jeunesse décomplexée sur sa santé mentale

    De Coluche à Fary et Shirley Souagnon, l’archipellisation de l’humour

    Son nez rouge et sa salopette à rayures iconique lui seront à jamais associés. Disparu en 1986, Coluche reste l’humoriste préféré des Français et de loin (selon un sondage BVA en 2016), celui qui a marqué toute une génération adepte de ses vannes « hyper bien construites », même s’il « prenait un malin plaisir à balancer du gras par moment », raconte Robert, 62 ans. Conscient que certains traits d’humour « passeraient » beaucoup moins bien aujourd’hui, à l’image de cette blague qu’il nous cite : « Qu’est-ce que fait un Éthiopien quand il trouve une patate ? Il ouvre un supermarché. » 

    Quelques décennies plus tard, la nouvelle génération a su inventer ses propres codes. « Les humoristes d’aujourd’hui parlent beaucoup plus d’eux-mêmes et d’expériences qu’ils ont vécues. Ils sont davantage dans l’empathie que dans la caricature de personnages types », analyse son fils Ilian, 19 ans, en citant notamment Fary et Shirley Souagnon. « Elle est très engagée pour la cause des femmes, elle est lesbienne et en parle beaucoup, elle fait des sketchs sur ses origines [ivoiriennes, ndlr]… » L’étudiant en théâtre à Aix-en-Provence trouve aussi leur humour plus « fin ». « Fary s’aventure presque vers la philosophie, c’est assez profond », abonde Robert qui est allé voir son one-man-show Hexagone avec son fils. 

    Vincent Cocquebert, lui, voit dans cette génération d’humoristes qui plaisent aux jeunes le reflet d’une « archipellisation du corps social ». « Avant, on vivait dans une sorte d’illusion d’universalisme, les humoristes essayaient de faire rire tout le monde. Coluche était d’ailleurs tellement persuadé de représenter le peuple qu’il est allé jusqu’à vouloir se présenter aux présidentielles ! Aujourd’hui, chacun a ses propres référents d’humour. Les thèmes abordés par un humoriste comme Fary, tels que le racisme, est aussi une manière de créer de la complicité avec les gens sensibles à ce genre de discours. » Bref, l’humour de la génération Z serait plus « politique » que jamais.

  • La jeunesse rurale, laboratoire du futur ?

    La jeunesse rurale, laboratoire du futur ?

    Sarah s’est lancée dans l’aventure de sa vie. Petite fille d’agriculteurs, cette ingénieure de seulement 24 ans a racheté la ferme familiale avec l’objectif de transitionner vers l’agroécologie. Après avoir étudié à Angers, Brest et Toulouse, elle est de retour dans ses terres d’origine, plus précisément à Challain-la-Potherie, « à 15 bornes de Segré », la ville où elle a grandi. « On a pris la décision avec mon compagnon Killian, qui venait de faire une formation de maraîcher ». Aujourd’hui, ils cultivent des légumes de saison et produisent des œufs à destination des particuliers, cantines scolaires et restaurants. 

    La jeunesse rurale, laboratoire du futur ?

    Sarah et Killian ont ouvert leur ferme il y a un mois à Challain-la-Potherie (Maine-et-Loire)

    Le parcours de Sarah est-il révélateur d’un exode des jeunes vers les campagnes ? Le sociologue Benoît Cocquart apporte un constat nuancé, dans son livre Ceux qui restent, Faire sa vie dans les campagnes en déclin, paru en 2019. Déjà car ce n’est pas une tendance nouvelle : « De manière générale, la France rurale se repeuple, c’est une tendance longue observable depuis la fin des années 1990 ». 

     

    « Les campagnes en déclin s’opposent aux campagnes attractives »

    Et aussi car la France rurale est contrastée : « On a d’un côté les campagnes en déclin qui perdent des habitants, majoritairement dans le nord ou l’est de la France. Ce sont des zones désindustrialisées ou qui reposent encore sur le secteur industriel avec moins d’emplois stables. Et puis les campagnes attractives, souvent à l’ouest et au sud, avec plus d’ensoleillement, moins de chômage et des zones bénéficiant de l’attractivité économique et culturelle des villes moyennes les plus proches », ajoute le chercheur, dont les travaux portent sur la région Grand Est. Si un jeune sur 10 quitte le domicile familial pour ses études, « la question est de savoir si ce tiers revient ou non. Et c’est précisément ce qui divise les campagnes en déclin des campagnes attractives », précise-t-il.

     

    En recherche de tranquillité

    Alors la question est de savoir ce qui pousse une certaine partie de la jeunesse à rester en zone rurale. Parmi les jeunes que nous avons interrogés, les deux principaux critères sont la tranquillité et l’entraide. C’est le cas d’Astrid, esthéticienne et employée de 22 ans, qui vient de s’installer avec son copain à Montceau-les-Mines, en Saône-et-Loire. « J’ai connu une période où je souhaitais vivre dans une ville plus grande, comme Lyon ou Paris, pour travailler dans une maison de parfumeur. Mais j’ai choisi d’habiter ici car il y a beaucoup de retraités, c’est tranquille et j’ai mon bout de jardin qui me permet de profiter en extérieur. C’est aussi beaucoup mieux pour mon chat. » 

    Si elle se rend souvent dans les villes les plus proches pour sortir entre amis, Astrid a toutefois du mal avec la pollution, le manque de place pour se garer et la densité. Pour la suite, elle envisage plutôt d’aller dans un endroit « beaucoup plus éloigné, dans la campagne profonde, pour être coupée du monde et de la vie active ».

    Une jeunesse en périphérie

    Être coupé du monde : un argument récurrent dans la bouche des jeunes ruraux. Cela peut s’expliquer par le fait que les ruraux se sentent moins représentés dans les débats politiques, comme cela a pu être le cas à l’essor du mouvement des Gilets jaunes. Depuis qu’elle est à la campagne, Sarah dit être « coupée de la réalité », elle qui a connu la vie urbaine et qui milite pour l’écologie. « C’est aussi lié à mon métier, je pense. J’ai l’impression d’être moins informée et d’être plus concentrée sur mon travail. Je n’ai plus la télévision et je suis moins en contact direct avec la détresse écologique donc bizarrement, je le vis mieux  ». Mais cela a aussi des inconvénients : « J’ai le sentiment d’être oubliée dans la société. Quand je regarde les débats politiques, je vois qu’on ne vit pas dans le même monde qu’eux ».

    La jeunesse rurale, laboratoire du futur ?

     Une station-essence et un bâtiment abandonné, dans la Nièvre 

    Il faut dire que les zones rurales sont les grandes oubliées des politiques publiques. En 2020, un rapport de l’Assemblée nationale pointait du doigt la raréfaction des services publics dans ces régions (police, gendarmerie, écoles, supermarchés, couverture numérique, santé…) Même constat du côté des loisirs. Si on comptait 500 000 débits de boissons en 1900, et 200 000 en 1960, il n’en reste plus que 38 000 en 2016, avec une perte de 2,8% par an. Les cafés et bistrots situés dans les zones rurales sont évidemment les plus affectés par cette tendance. De même, une enquête publiée en 2012 montre que les jeunes urbains accèdent plus que les jeunes ruraux, en moyenne, aux équipements sportifs (69 % contre 66 %), aux bibliothèques (46 % contre 34 %) et aux cinémas (87 % contre 79 %).

    Des valeurs d’entraide

    Peut-on pour autant en conclure que la jeunesse rurale se replie sur elle-même ? C’est plutôt le contraire, raconte Sarah : « On a vraiment un esprit d’entraide. On croise souvent les mêmes personnes et les relations avec nos amis sont plus fortes, tout le monde se connaît. Mes grands-parents vont jouer à la belote tous les jeudis, on a des fêtes de villages aussi. Récemment, un jeune agriculteur est décédé et l’église était pleine. Chacun se relaie pour aider sa famille ». Ce qui rejoint le vécu de Pierre, 22 ans, qui vient de décrocher un CDI dans une industrie à Belmont-de-la-Loire… entourée de prés : « Avec mes amis, on se connaît depuis le lycée pour la plupart et on se retrouve souvent chez l’un d’entre nous ou pour faire du sport ».

    Un constat proche des travaux de Benoît Coquart : « On a souvent pensé que la sociabilité disparaissait avec les industries, mais ce n’est pas le cas. Les liens ne se font plus dans des partis politiques ou des associations, mais derrière le palier de la porte. C’est par cette bande de potes qu’on trouve souvent un emploi et qu’on est “bien vu”. Mais à chaque fois, les jeunes me racontent qu’ils font le tri entre “les vrais potes sur qui compter » et les “salut ça va” ou “les gens du coin”, avec qui ils sont d’ailleurs souvent en concurrence pour des emplois. »

    La jeunesse rurale, laboratoire du futur ?

    Un dîner entre amis dans un jardin

    Car si les départements ont financé des campagnes de publicité parisiennes axées sur le tourisme et les espaces verts en 2020, la réalité est plus précaire, résume le sociologue. « On a beaucoup parlé de personnes qui se retranchent à la campagne. Mais dans ces régions, il y a entre 30 et 35 % de jeunes ouvriers et employés, un peu de catégories intermédiaires et seulement 2 à 3% dans le domaine agricole, qui n’est pas le plus grand pourvoyeur d’emplois . Il ne faut pas oublier qu’en arrivant en zone rurale, on est davantage dans un milieu ouvrier que rural. » Dans cette étude publiée en 2012 par Sciences Po, on apprend d’ailleurs que « les pauvres s’en vont aussi à la campagne » en raison de l’augmentation du coût du logement. On est donc loin d’une vague de néo-ruraux arrivés récemment dans les campagnes avec un bagage financier conséquent.

    La jeunesse rurale, laboratoire du futur ?

    Plus solidaires et centrés sur l’essentiel, les jeunes ruraux sont aussi adeptes de la propriété individuelle. « Tu peux sortir dans ta cour, il n’y a personne qui te voit, tu peux manger sur ta terrasse et il n’y a pas de bruit aux alentours », avance Pierre. Cette tendance peut expliquer une hausse des prix de l’immobilier dans certaines zones rurales. Certains, comme Sarah, participent également à la construction de circuits courts, grâce à l’implantation d’artisans et agriculteurs bio dans des zones limitées en services publics. Ces nouveaux modes de vie peuvent-ils inspirer les générations futures ? S’il reconnaît la force de l’entraide, Benoît Coquart appelle à la vigilance : « La société de demain construite sur ces valeurs-là ? Il y a aussi beaucoup de précarité et de concurrence à cause du chômage, ce qui entraîne de la conflictualité ». De son côté, Sarah propose d’aller plus loin que l’entraide. « Les habitants des campagnes connaissent les traditions et les mécanismes de la nature. Je pense que c’est précieux. Tout le monde parle de transmission dans le débat public, mais personne ne sait vraiment comment s’y prendre. » La solution est donc peut-être à trouver dans l’écoute et la prise en compte des jeunes ruraux.

  • Maison individuelle et étalement urbain : faut-il densifier la ville ?

    Maison individuelle et étalement urbain : faut-il densifier la ville ?

    Sylvie, retraitée périgourdine, vient d’emménager dans un petit logement de plain-pied qu’elle a fait construire… dans son jardin ! La démarche peut surprendre, mais elle permet à cette sexagénaire de se libérer de la contrainte des escaliers de son ancienne maison familiale, tout en restant en cœur de ville, le tout pour un budget serré.

    « Sylvie a d’abord cherché à acheter un terrain dans le centre de Périgueux, mais ce type de bien est très rare » explique Amandine Hernandez, architecte et urbaniste cofondatrice de l’agence Villes Vivantes. Cette dernière a été missionnée par la ville de Périgueux (24) pour piloter l’opération Bimby (initialement Build In My Back Yard, rebaptisée Beauty In My Back Yard, soit De la beauté dans mon jardin). En bref, il s’agit de densifier le tissu pavillonnaire en douceur, en insérant de nouveaux logements (construction d’appartements accessoires, surélévation, extension, etc.) sur les parcelles d’habitants volontaires, sans détruire les logements existants. L’ambition : proposer un habitat qui ne consomme pas de nouvelles terres naturelles et agricoles, tout en répondant aux attentes des habitants, au cas par cas.

    Densité urbaine et habitat pavillonnaire : comment limiter les impacts ?

    Si les Français préfèrent vivre en maison plutôt qu’en appartement1, ce rêve pavillonnaire a un coût. L’habitat individuel est responsable de 47 % de l’artificialisation nouvelle, contre 3 % pour l’habitat collectif, lequel abrite pourtant près de la moitié des Français2. Or, les conséquences néfastes de cette artificialisation ne font plus débat aujourd’hui : perte de biodiversité, étalement urbain, accroissement des migrations pendulaires et donc des temps et des coûts de transport…

    Alors, si construire dans un jardin peut sembler anecdotique, le recours à la densification pavillonnaire peut-il offrir un compromis entre l’idéal de logement des Français et l’urgence écologique et sociale ? Pour Amandine Hernandez, le Bimby offre un précieux point de convergence entre intérêt collectif et particulier. Et son potentiel est réjouissant : si sur cent maisons, deux d’entre elles étaient densifiées avec un nouveau bâti, l’étalement urbain serait jugulé, assure l’architecte.

    La démarche rejoint l’objectif de « Zéro Artificialisation Nette » affiché par le gouvernement dans son plan biodiversité de 2018, et qui pourrait prochainement devenir contraignant. Ce dernier est en effet au cœur du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, actuellement présenté en conseil des ministres.

    Densifier le tissu pavillonnaire peut donc apparaître comme une solution parmi d’autres – repenser les logements vacants ou sous-exploités, notamment – pour freiner drastiquement l’artificialisation du territoire, tout en répondant à une interrogation pressante de bien des collectivités locales : comment « gagner » de nouveaux habitants et répondre à leurs besoins ?

    Lire aussi : Devenir propriétaire jeune fait-il toujours rêver ?

    Repenser l’habitat pour une ville mieux partagée

    Au-delà de Périgueux, la Communauté Urbaine du Creusot-Montceau, les collectivités des Vosges Centrales ou encore du Grand Nevers ont également fait appel à l’équipe de Villes Vivantes. « Nous pensons qu’une densité accrue peut rendre la ville plus belle : c’est une ville où l’infirmière travaille plus près de l’hôpital, où les retraités peuvent faire leurs courses à pied, où des jeunes couples peuvent acheter un terrain… » défend Amandine Hernandez.

    Ce n’est pas Sylvie qui la contredirait. Elle, qui n’avait jamais imaginé que sa parcelle de 458 m2 puisse accueillir deux maisons, vit désormais sur ses 75 m2 de plain-pied (pour un coût de construction maîtrisé, aux environs de 1 300 euros le m2) dotés, en prime, d’un patio et d’une pergola. Quant à sa maison pré-existante, elle a été réhabilitée pour être louée. De quoi assurer un complément de revenu bienvenu…

    Un peu plus loin, Céline, qui vit avec sa fille dans un quartier recherché de Périgueux, a fait réaliser deux studios bénéficiant d’espaces extérieurs en soupente de sa terrasse, loués par deux étudiantes. Quant à Hamed et Mohammed, père et fils, ils ont construit sur une même parcelle deux maisons sans vis-à-vis : de quoi vivre à côté tout en préservant l’intimité de chacun…

    « Le Bimby à Périgueux, c’est du gagnant-gagnant. Cela permet d’avoir un habitat atypique en plein milieu du patrimoine et aussi de reconquérir des habitants, notamment des familles », écrit la maire Delphine Labails. Depuis les débuts de l’opération en 2016 sur la commune, près de 200 projets de logements ont abouti.

    Une densification douce pour des villes durables

    Il ne s’agit là ni de la première ni de la seule initiative visant à défendre la densification pavillonnaire. Les pionniers sont sans doute à chercher du côté de nos voisins britanniques. Dès les années 1970, le Granny Flat (« l’appartement de mamie ») séduit de nombreux propriétaires âgés, qui font construire sur leur terrain une maison plus petite avant de mettre en location leur habitation principale.

    En France, bien avant le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbains) de 2000 encourageait déjà les acteurs publics à refaire « la ville sur la ville ». L’injonction a d’abord concerné les zones centrales des agglomérations et les grands ensembles avant de toucher, plus tard, les quartiers pavillonnaires. Mais le phénomène n’est pas sans écueils : une densification spontanée et incontrôlée peut en effet se traduire par l’apparition d’un habitat dégradé, comme cela s’observe dans les tissus pavillonnaires logeant des populations défavorisées, notamment en moyenne couronne francilienne. En l’absence de réel encadrement public, des divisions internes et des extensions abusives répondent à la pression immobilière, au bénéfice de quelques-uns.

    Lire aussi : Et si l’architecture low-tech permettait des villes plus durables ?

    Par ailleurs, « Si les acteurs publics n’organisent pas de développement économique conjoint à la densification douce des zones périphériques, alors celle-ci ne fait que renforcer les mobilités pendulaires, sans permettre un développement durable des villes », met en garde Rachel Linossier, maître de conférences en Aménagement et Urbanisme à l’Université Lumière Lyon 2. « La densification doit être maîtrisée et encadrée par les collectivités », abonde Amandine Hernandez. « Mais elle doit aussi être désirable. La lutte contre l’étalement urbain ne peut fonctionner que si les habitants y trouvent leur compte », conclut l’architecte.

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    1 Etude Century 21 de 2016 : 71 % des Français plébiscitent la maison individuelle
    2 Rapport du Comité pour l’Economie Vert
  • Eclairage nocturne : et si on éteignait la lumière en ville ?

    Eclairage nocturne : et si on éteignait la lumière en ville ?

    Lumière artificielle et impacts sur l’environnement

    La faune et la flore en sont les victimes les plus évidentes : l’absence de cycles naturels de lumière perturbe la photosynthèse des plantes mais aussi la migration et les cycles de reproduction de certaines espèces animales, menaçant à terme la biodiversité.

    Lire aussi : L’engagement des jeunes en faveur du climat

    D’autant que de manière plus indirecte, l’énergie et les ressources naturelles nécessaires à l’éclairage affectent largement l’environnement : en France, les 11 millions de points lumineux (candélabres, lanternes, projecteurs et autres lampes) du parc public émettent annuellement 670 000 tonnes de CO2, selon l’ADEME.

    Si la quasi-disparition du ciel étoilé est un enjeu écologique pressant, elle a aussi une portée culturelle et symbolique : aujourd’hui, un tiers de la population mondiale ne voit plus la voie lactée, 99 % des populations européennes vivent sous un ciel pollué (2). Et la France n’échappe pas à cette perte d’une connexion millénaire de l’humanité au ciel étoilé…

    Que deviendront nos nuits sans l’espoir d’apercevoir la Grande Ourse ? La question mobilise bien au-delà des amoureux d’astronomie, des protecteurs de chauve-souris ou d’oiseaux migrateurs. Car l’éclairage public pèse lourd : 56 TWh annuels, soit 12 % de la consommation électrique nationale (3), et 37 % de la facture d’électricité des collectivités territoriales (4).

    Lire aussi : Dans le Gard, des Survoltés inventent le watt citoyen

    Eclairage nocturne : 12 000 communes pionnières

    Alors, si on éteignait la lumière ? Aux quatre coins de l’Hexagone, des élus locaux et leurs équipes ont décidé de passer à l’action : depuis quelques années, des initiatives d’extinctions lumineuses de l’éclairage public en ville se développent. Elles ciblent certaines zones, à certains horaires – quand l’activité est réduite. « À quoi servent en effet des éclairages d’illumination et même de déplacements dans une commune déserte ? » interroge avec bon sens Anne-Marie Ducroux, présidente de L’ANPCEN. L’association a recensé 12 000 communes, soit un tiers des communes françaises, pratiquant déjà une extinction de l’éclairage en milieu de nuit.

    Exemple à Rochefort (17) : dès 2017, l’équipe municipale a fait le choix de plonger dans l’obscurité plusieurs de ses quartiers. Fini les lampadaires de minuit trente à cinq heures du matin en semaine ! La mesure a ensuite étendue à la commune toute entière l’année d’après. « La motivation de base était économique : nous avons souhaité remédier à la vétusté de notre éclairage public – de nombreux points lumineux avaient plus de quarante ans – sans générer de surcoûts. Nous avons donc proposé aux habitants une sorte de deal, sur la base du volontariat : procéder à des extinctions temporaires pour réaliser les économies d’énergies permettant l’achat d’un nouveau parc équipé en LED », explique M. Lesauvage, en charge de l’urbanisme et du développement durable de la ville.

    Lire aussi : Et si l’architecture low-tech permettait de bâtir des villes plus durables ?

    Réduire l’éclairage : un atout écologique et financier

    La cité de Charente-Maritime n’est pas la seule à faire face à une nécessité d’investissement : aujourd’hui, plus de la moitié du parc d’éclairage public français est obsolète, et sur-consommatrice d’énergie, selon l’ADEME. Questionner la nécessité de la permanence de l’éclairage peut donc permettre des économies substantielles, non négligeables dans un contexte de baisse des dotations de l’État…

    À Rochefort, l’expérience a été plus que concluante. « Nous avons réalisé une économie de 60 000 euros par an. Et alors que certains craignaient une augmentation de la délinquance, nous avons observé au contraire une réduction de cette dernière de 30 % environ ! », se félicite l’adjoint au maire en charge de l’urbanisme.

    De quoi tordre le coup à l’évidence du couple lumière-sécurité. Ce vieux duo qui déchaîne les passions depuis des siècles est peut-être moins lié qu’on pourrait le croire : s’il est généralement admis que la lumière rassure, c’est pourtant en plein jour que sont commis la plupart des vols et tentatives de vol (73 %), mais aussi des violences physiques (63 %), selon le dernier rapport d’enquête « cadre de vie et sécurité » (INSEE, 2017).

    « Les communes ont la possibilité d’éviter les gaspillages et d’économiser de 30 à 75 % de leur budget électricité, par la conception et par de meilleurs usages, notamment concernant la durée d’éclairement »

    Anne-Marie Ducroux, présidente de L’ANPCEN

    Partisans de la sécurité versus défenseurs de la biodiversité

    Avec un bilan sécuritaire et financier aussi positif, on pourrait penser que la mairie de Rochefort ait décidé de pérenniser l’extinction nocturne. Il n’en est rien : l’an dernier, les éclairages LED conforme au « deal » initial annoncé aux habitants ont été installés et mis en fonctionnement. Il faut dire que l’expérimentation ne s’était pas faite sans résistance, justifie M. Lesauvage : « Le fait d’éteindre ou pas a partagé la population en deux camps : pour schématiser, les partisans de la sécurité versus les défenseurs biodiversité », explique-t-il, se réjouissant de la solution apportée par l’éclairage LED : « les modèles choisis peuvent être abaissés à une luminosité de 25%, ce qui est apprécié des partisans d’une réduction lumineuse. Quant à ceux qui s’inquiétaient d’une absence de lumière, ils sont rassurés par le retour d’un éclairage, même faible », précise-t-il.

    Concertation ou démagogie ? L’adjoint préfère le terme de « statu quo », et prône un changement progressif. Ce n’est pas Gilles Pierret, directeur des fonctions support de Comatelec Schreder et membre de l’Association Française de l’Éclairage (dont les adhérents, collectivités et professionnels, gèrent plus de 5 millions de points lumineux en éclairage public), qui l’en blâmerait.

    « De nombreuses mesures d’extinctions lumineuses sont hâtives, elles malmènent la sécurité de se déplacer. Je refuse que de mauvais éclairages prennent pour prétexte la préservation de la biodiversité ou la réalisation d’économies d’énergie. Si ici ou là, des exemples n’ont pas généré plus d’accidents, sur combien de temps est-ce valable, et dans quelles zones ? » interroge Gilles Pierret, qui prône la mise en place de solutions technologiques pensées en concertation avec les professionnels de l’éclairage.

    Des équipements « intelligents », avec détecteurs de présence ou abaissement de l’intensité modulable, qui peuvent faire office de compromis aux yeux de responsables locaux tiraillés entre les exigences citoyennes, les impératifs économiques et écologiques. Mais la présidente de l’ANPCEN appelle à la réserve : « la seule vraie question à poser, avant d’installer une source lumineuse est celle de sa véritable utilité », défend-elle. Un vœu pieux ?

     

     

    (1) Sondage 2018 de l’association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement (ANPCEN)  https://www.anpcen.fr/?id_rub=11&id_ss_rub=197&id_actudetail=191
    (2) Falchi et al, 2016 : The new world atlas of artificial nigtsky brigthness, Science Advance
    (3) Selon L’association Française de l’Eclairage (AFE), 2018
    (4) Bilan de l’Ademe https://www.ademe.fr/collectivites-secteur-public/patrimoine-communes-comment-passer-a-laction/eclairage-public-gisement-deconomies-denergie
    (5) Chiffres de l’ANPCEN
  • Et si l’architecture « low tech » permettait de bâtir des villes plus durables ?

    Et si l’architecture « low tech » permettait de bâtir des villes plus durables ?

    Au nord de Paris, près de la future gare Pleyel du Grand Paris Express, le futur village olympique accueillera en 2024 deux mille cinq cent athlètes, avant de laisser la place à un éco-quartier de logements, bureaux, commerces, etc. Un vaste chantier, placé sous un signe inattendu : la prédominance du bois. Une douzaine d’immeubles conçus en matériaux biosourcés (bois principalement mais aussi terre) seront bientôt érigés. Objectif affiché des organisateurs : participer à des jeux « neutres en carbone », pour saisir « une opportunité d’amélioration durable des manières de faire en faveur du climat ».

    Des JO verts ? L’ambition peut prêter à sourire, au vu des bilans fortement carbonés des précédents rendez-vous sportifs : quelque 3,5 millions de tonnes équivalent CO2 pour Londres 2012, idem pour Rio 2016.

    Une frugalité heureuse et créative

    Au-delà d’une stratégie de communication, la démarche emprunte à une tendance encore marginale, mais qui s’affirme comme l’une des clés d’une urbanité plus durable : l’architecture low tech. Comprenez : construire avec des technologies plus sobres, moins polluantes et plus durables. C’est ce que défendent notamment les quelque 8 000 signataires – architectes, ingénieurs, urbanistes, scientifiques, étudiants – du manifeste « Pour une frugalité heureuse et créative », qui appellent à sortir la construction « des visions technicistes et productivistes, gaspilleuses en énergie et en ressources de toutes sortes ».

    Il y a urgence : en France, le bâtiment représente près de 45 % de la consommation énergétique nationale et plus 25 % des émissions de gaz à effet de serre (1).

    La faute, entre autres, au béton, largement utilisé. Sa fabrication est très énergivore, notamment parce que le ciment, qui en est l’un de ses composés essentiels, nécessite d’être chauffé à des températures très élevées. Son transport et sa fin de vie, génératrice de déchets, alourdissent encore son impact environnemental. Or, si le béton est précieux pour réaliser des ouvrages d’art tels que des ponts, « ses performances techniques ne sont pas nécessaires pour des bâtiments plus simples, comme des logements par exemple », explique l’architecte Paul-Emmanuel Loiret, qui défend depuis des années l’usage de matériaux biosourcés.

    Lire aussi : 5 matériaux écolos pour une maison saine et respectueuse de l’environnement

    Pièges à carbone

    Place donc au bois, à la terre, à la paille, ou encore au chanvre, qui combinent de multiples avantages. Ainsi, le bois est un véritable piège à carbone ; quand il est encore à l’état d’arbre, ses feuilles absorbent le CO2 lors de la photosynthèse. Capturé dans le bois, le carbone évite ainsi de se retrouver dans l’atmosphère… Par ailleurs, la légèreté de ce matériau permet un montage deux fois plus rapide par rapport à un chantier béton et acier.

    La paille a également un impact environnemental très faible. Ce coproduit de l’agriculture, largement disponible en France, peu cher, est encore aujourd’hui jeté la plupart du temps, alors qu’il ne nécessite pas de transformation. Utilisé comme isolant notamment, il favorise l’isolation thermique et acoustique.

    Lire aussi : La France peut-elle arriver au bout de ses passoires thermiques ?

    Quant à la terre crue, outre qu’elle est peu émettrice et permet l’exploitation de gisements locaux, elle offre aussi un certain confort de l’habitat.

    « L’inertie de la terre crue régule la température et l’humidité. Comme le bois, elle permet de renouer avec une construction plus sensorielle, appréciée de ceux qui l’habitent. Par ailleurs la construction en terre crue nécessite de s’appuyer sur des savoir-faire artisanaux, à l’inverse de matériaux très technologiques »

    Magali Castex, qui pilote pour Grand Paris Aménagement un projet innovant baptisé Cycle-terre

    L’initiative s’organise autour d’une fabrique de terre crue, dont la construction débute ce printemps à Sevran (93). L’ambition est de valoriser une partie des millions de tonnes de terres excavées lors des travaux du Grand Paris en de nouveaux matériaux de construction : briques de terre crue ou panneaux d’argile biodégradables et recyclables à l’infini.

    Loin de la lubie écolo, l’habitat en terre (en pisé, avec des briques d’adobe, du torchis, de la bauge ou des blocs comprimés) abrite un tiers de l’humanité, en particulier en Afrique et Amérique du Sud (2) ; en France, la pratique a quasiment été abandonnée ces dernières décennies. Au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, la nécessité de reconstruire vite et peu cher des villes entières bombardées consacre l’usage du béton au détriment de matériaux biosourcés. Mais l’urgence climatique la remet au goût du jour. Des maisons individuelles sortent de terre ici ou là ; l’été dernier, un groupe scolaire en terre crue a été livré à Nanterre (92).

    Cycle de vie

    Autre atout des matières biosourcées : lors de la déconstruction, celles-ci peuvent être facilement recyclées. Ce cycle de vie optimisé est l’un des aspects fondamentaux d’une construction low tech pour Quentin Mateus, ingénieur au sein de Low tech lab*. Cette association de passionnés se consacre, entre autres projets, à la conception d’un prototype d’habitat écologique. Elle défend un bâti qui réponde à un critère d’utilité (combler un besoin essentiel), de durabilité (être économe en énergie, en ressource, repérable, robuste, modulaire), et d’accessibilité (ouvert à des savoir-faire accessibles, à des techniques libres de droit).

    « Est-ce que c’est vraiment nécessaire ? Est-ce que c’est la solution la plus durable pour le faire ? Est-ce que cela m’offre plus d’autonomie ? On pourrait résumer la démarche low tech à ces trois questions »

    Quentin Mateus, ingénieur au sein de Low tech lab

    À ce titre, le village olympique a encore des progrès à faire… Mais ce grand chantier offre un signal positif à la filière de la construction biosourcée, qui peine à s’imposer dans un secteur français du BTP dominé par la performance technique et par les leaders mondiaux du béton (Bouygues) et du ciment (Lafarge). Ainsi, en 2019, on comptait en France un peu plus de 400 constructions en paille réalisées seulement (3). Quant à l’usage du bois comme système constructif, il représente4,3 % de part de marché en logements collectifs et 9,4 % pour la maison individuelle. Soit près de 15 000 habitats individuels construits en bois en 2018… Un chiffre encore faible, mais en augmentation (4). Pourquoi pas vous ?

    * Le Low Tech Lab est soutenu par la Fondation d’entreprise du groupe Macif
    (1) http://www.batiment-energiecarbone.fr
    (2) http://craterre.org/
    (3) http://www.constructionpaille.fr/statistiques/
    (4) https://www.codifab.fr/sites/default/files/enquete_constructionbois_juin_2019.pdf
  • Surfer sur Internet est-il mauvais pour la planète ?

    Surfer sur Internet est-il mauvais pour la planète ?

    1 Le numérique : d’abord une montagne de métaux et plastiques

    Aux sources du numérique, il y a les terminaux, de plus en plus nombreux. Dans une famille française moyenne, le CSA estime ainsi qu’on trouve entre cinq et six écrans environ (4). Dans chacun de ces équipements, on retrouve des matériaux rares et des métaux lourds, mais aussi du plastique dont on sait que la consommation est à limiter. Multipliés par le nombre de foyers en Europe et dans le monde, on imagine la quantité affolante de matériaux et d’énergie nécessaires à la fabrication, au transport et à l’utilisation de tout cet arsenal high-tech. Et comme le taux de recyclage est plutôt médiocre, voire carrément faible (plus de 100 millions de smartphones dormiraient dans les tiroirs des Français (5), le volet hardware* du numérique est responsable d’une très lourde empreinte écologique.

    * Matériel

    Comment agir ?

    Faites durer votre matériel ! Prenez-en soin, suivez les recommandations du fabricant concernant les mises à jour et faites réparer quand c’est possible. Si votre ordinateur est vraiment en fin de vie, proposez-le à une association comme Emmaüs ou à une ressourcerie qui pourront le valoriser.

    Le saviez-vous ?

    Près de 40 % de l’énergie consommée par le numérique est due à la fabrication des ordinateurs, smartphones et téléviseurs. (1)

    2 Séries, chats, jeux et émissions (de CO2)

    La généralisation des plateformes de streaming comme Netflix, Apple TV ou Amazon Prime Video a fait exploser la consommation de vidéos (séries, films, sports…) et de jeux en ligne. À elle seule, la vidéo représenterait 300 millions de tonnes de CO2 par an, soit 1 % des émissions globales (3). Regardées sur la TV et aussi sur smartphone via les réseaux sociaux (YouTube, Facebook, Instagram, etc.), toutes ces images sont, en effet, stockées dans d’énormes « fermes numériques », des centres de stockage hébergeant des milliers de serveurs devant être alimentés en énergie et refroidis en permanence. Certains sont mêmes construits sous l’eau pour être rafraîchis plus facilement ! (6) Côté jeux vidéo, même combat : une partie de jeu vidéo sur la plateforme de jeu en ligne Twitch est susceptible d’anéantir plusieurs heures de bonnes pratiques écolos à la maison…

    Comment agir ?

    Faites le ménage dans votre boîte mail et sur vos espaces de stockage en ligne. Réduisez la luminosité de vos écrans et éteignez vos appareils pour consommer moins d’énergie. Enfin, pensez à désactiver la lecture automatique des vidéos sur YouTube (et donc le flux de données, consommateur d’énergie). Idem sur vos réseaux sociaux comme Facebook et Instagram.

    3 « Search » : quand le moteur s’emballe

    Utiliser un moteur de recherche consomme de l’énergie. Et avec près de quatre milliards de recherches effectuées chaque jour dans le monde (7), l’impact environnemental est non négligeable ! Certains moteurs comme Ecosia ou Lilo soutiennent des causes solidaires ou écologiques. Mais avec 90 % de parts de marché détenus par Google (7), l’effet reste pour le moment limité…

    Comment agir ?

    Choisissez un moteur de recherche solidaire et mettez les sites que vous visitez souvent en favoris, plutôt que d’y accéder via une recherche ou de laisser les onglets ouverts. Et surtout, n’hésitez pas à vous déconnecter !

    L’Essentiel de l’article

    • Smartphones, ordinateurs, tablettes ou TV sont friands en métaux et plastiques.
    • Le streaming vidéo représente 1 % des émissions de CO2 dans le monde. (3)